Frédéric ENCEL: "Israël a considérablement augmenté sa puissance"

22 janvier 2025 - 19:29 - 1041 vues
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Dans un entretien accordé à Radio Shalom, Frederic Encel, docteur en géopolitique nous explique comment lsraël, depuis le début de sa riposte face au Hamas et sa guerre face au Hezbollah, a décuplé sa puissance sur la scène internationale. 

Bernard Abouaf : Pensez-vous qu'Israël a retrouvé sa puissance, avec des acquis qui sont très importants, ou au contraire l'a abimée avec la détérioration de son statut sur la scène internationale, avec la guerre à Gaza ?

Frederic Encel : Israël n'a pas maintenu sa puissance, Israël l'a considérablement augmentée. En géopolitique je dis toujours que la matière précieuse, c'est la crédibilité dissuasive. Alors, après le 7 octobre qui a manifestement donné lieu à de très justes et légitimes commentaires sur l'aspect catastrophique de cette situation, il y avait pour Israël une nécessité, d’un point de vue politique et militaire, de démontrer que ça coûterait beaucoup plus cher dorénavant à n'importe quel adversaire d'ailleurs, de perpétrer ce type d'attaque.

Regardez ce qu'il s'est passé en quelques mois. Depuis septembre 2024, d'une part, l'espace aérien iranien, a démontré qu'il était nu, en quelque sorte, et qu'Israël pouvait, sans même d'ailleurs, une intervention américaine massive, frapper à peu près où l'État hébreu souhaite frapper, et vous voyez bien où je veux en venir potentiellement, les installations nucléaires.

Bernard Abouaf : Il y a un responsable des Gardiens de la Révolution qui a dit non, ils ont déjà frappé un site nucléaire, ils l'ont déjà fait.

Frederic Encel : Oui, c'est absolument vraisemblable. Il n'est pas forcement central comme site, mais de toute façon, vous savez, il faut rassembler toute une série d'éléments pour pouvoir constituer à terme une bombe. Donc si vous frappez efficacement un site, vous faites prendre du retard à l'intégralité du processus. Donc ça c'est un premier point. Le deuxième point, c'est l'humiliante défaite du Hezbollah.

Autant les renseignements ont échoué, mais parce qu'il n'y avait pas suffisamment les années qui ont précédé le 7 octobre de missions de budget et de personnel pour surveiller le Hamas à Gaza, autant, et là personne ne peut me contredire de ce point de vue-là, autant il y a eu une réussite totale et massive assez stupéfiante, y compris d'ailleurs au regard de services de renseignement et d'armées à l'étranger que je raconte assidûment, y compris en France qui considère que la victoire israélienne contre le Hezbollah est à peu près unique dans les annales récentes des guerres qu'on appelle asymétriques entre les États et les infra-États. De ce point de vue-là, au moins sur ces deux aspects-là, qui d'ailleurs ont entrainé la chute d'une dynastie déjà perdue à Damas et donc la fin du continuum irano-chiite qui s'étendait de Beyrouth jusqu'au Balouchistan.

Attention aux images trompeuses, ce n'est pas parce que plusieurs centaines d'hommes armés du Hamas font les marioles devant les caméras du monde entier, entourés d'une foule qui d'ailleurs est importante, oui et non, la vérité c'est qu'on ne sait absolument pas combien parmi les 2 millions de Palestiniens de Gaza sont effectivement favorables au Hamas et je défierais n'importe quel sociologue d'établir que le Hamas dispose d'une majorité écrasante, si demain il y avait des élections.

Mais ce n'est pas donc parce que ces quelques centaines d'hommes armés, effroyablement armés, font les matamores que le Hamas n'a pas perdu. La vérité c'est une sorte d’images symboliques. Je vais vous donner un seul exemple qui n'est pas agréable à dire mais d'un point de vue militaire et stratégique, il est fondamental, regardez quelle est le ratio, le terme est idiot, mais il faut l'employer, le ratio entre les prisonniers palestiniens et les otages. En 2011, avec Gilad Shalit, c'était 1 pour 1051. Il y a quelques années, c'était 1 pour environ 500. Au début de la riposte israélienne, ça a été pardon, je n'ai plus exactement les chiffres, environ 1 pour 90, c'est aujourd'hui 1 pour 30. Et ceux qui ne font pas de géopolitique ne peuvent pas savoir, je ne peux pas leur en vouloir, ce n'est pas leur métier, mais doivent savoir néanmoins que ça, c'est un fait qui n'est pas contestable, c'est l'une des traductions d'un rapport de force.

Je vais vous donner simplement une deuxième et dernière traduction du rapport de force entre Israël et le Hamas. Il y a depuis plusieurs mois, quasiment, il y en a encore quelques-unes, il y a quasiment plus de roquettes qui tombent sur Israël. Je me permets de vous rappeler, mais vous, vous le savez parfaitement, cher Bernard, et vos auditeurs aussi, qu'il y a encore un an et demi, c'était plusieurs dizaines de milliers dont disposait ce groupe terroriste.

Aujourd'hui, c'est sans doute encore quelques centaines dispersées, disséminées, et comme ils n'ont plus les moyens d'en acheminer, et sans doute pas d'en construire davantage, ils en prennent plus une ou deux par mois.

Bernard Abouaf : il y a encore un autre point qui suit, c'est l'arrivée au pouvoir de Donald Trump et d'ailleurs, est-ce que Trump est une promesse de paix avec les saoudiens ?  

Frederic Encel: Alors, Trump, c'est effectivement le dernier clou enfoncé dans le cercueil des espérances du Hamas, et de son 7 octobre. C'est-à-dire qu'on ne sait pas, et on ne saura jamais, et je défie quiconque de me dire ce qu'aurait fait Kamala Harris s'il avait été présidente, ou Joe Biden s'il était resté à la présidence. Mais il y a au moins quelque chose qu'on peut dire, c'est que Donald Trump est effectivement, inconditionnellement, favorable à Israël.

Alors, sauf, et je le disais dans ma tribune dans l'Express, sauf si vraiment Netanyahou lui coûtait trop cher, et vous avez raison cher Bernard, d'évoquer l'Arabie saoudite. Si vraiment Netanyahou lui coûtait trop cher, d'une manière ou d'une autre, mais liée à la stabilité de l'État, qui intéresse beaucoup, Donald Trump beaucoup plus qu'Israël, dont il se fiche totalement, sans parenthèse, contrairement à ce que croient beaucoup de gens. C'est l'Arabie saoudite.

C'est un pays riche, solvable, qui achète, qui a acheté, qui achètera encore beaucoup aux États- Unis, et vous savez très bien que c'est la boussole principale de Donald Trump. Donc, si Israël ne coute pas trop cher, bien sûr que Trump sera inconditionnel de Netanyahou, il l'a déjà dit, d'ailleurs, il a déjà commencé à se démontrer. De ce point de vue-là, pour le Hamas, mais peut-être plus encore pour l'Iran, c'est une véritable catastrophe, parce que l'Iran pensait pouvoir convaincre l'administration Biden, dont il faut rappeler qu'elle a été extrêmement favorable à Israël.

Trump ne veut pas de bombe iranienne, il ne veut pas d'état du seuil, et il est prêt, à mon avis, à laisser les Israéliens aller jusqu'au bout, quitte à les aider.

Bernard Abouaf : La détérioration de la position d'Israël sur la scène internationale, au Brésil, dans des endroits importants, pas seulement en Espagne, en Irlande, pour vous, c'est quelque chose qui peut... Vous avez l'habitude, vous avez l'expérience, vous me dites, Bernard, vous verrez, pour les Russes, pour les Israéliens, pour les Yougoslaves, souvenez-vous, ça passe.

Frederic Encel: Ah non, mais je vais aller plus loin, cher Bernard, je suis en désaccord avec cette présentation, je pense que cette détérioration est fausse, elle n'existe pas. Vous me citez le Brésil, mais pourquoi ? Parce que Lula, à 0,7 points, l'a emporté contre Bolsonaro, très bien, mais dans ce cas-là, je vous donne le cas d'Argentine. Oui, mais voilà, c'est ça, mais avec Bolsonaro, c'était exactement le contraire, alors à 0,7, Lula l'a emporté, très bien, et il fait le contraire.

Regardez ce qu'il se passe en Argentine. Là, c'est Millei qui l'a emporté, alors avec un petit peu plus, lui, est très favorable à Israël. Donc qu'est-ce que je vais vous dire ? Je vais vous dire, regardez, Israël perd le Brésil, mais il gagne l'Argentine.

En réalité, tout ça n'est pas extraordinairement concret. Je vais plus loin. Prenons le cas, vous me citez l'Irlande, dont le volume d'échange avec Israël était vraiment ridicule, à peu près pareil pour l'Espagne.

Je vous donne le cas de l'Inde. L'Inde est le pays le plus peuplé du monde. Le PIB de l'Inde a dépassé celui de la France et de la Grande-Bretagne il y a quelques années.

Pourquoi ne parle-t-on que de la Chine et pas de l'Inde ? Alors, vous avez vu, l'Inde quittait, entre guillemets, son volume et sa valeur, d'ailleurs, des échanges avec Israël, depuis 15 mois, pas moins, cher Bernard. Alors ça, plus des États du Pacifique, d'où je viens, je viens de rentrer à l'instant d'une tournée en Asie orientale, et notamment à Taïwan et aux Philippines. Vous avez affaire à des États, notamment des États montants, j'étais allé récemment aussi à Singapour, qui sont, qui restent extrêmement favorables à Israël.

Je pense aussi à la Corée du Sud. Donc, vous voyez, le problème est toujours le même. Si on pioche quelques pays, ou si on s'arrête à un certain nombre de manifestations, qui existent, qui ne sont pas contestables, y compris dans les universités américaines ou européennes, défavorables à Israël, alors qu'est-ce qu'on fait ? On descend chez le pharmacien, on prend du tranxène.

Mais ça, si vous voulez, c'est de la pensée magique. Ce n'est pas sérieux. Si on regarde réellement quels ne sont pas seulement les votes à l'Assemblée Générale des Nations Unies, dont vous savez qu'ils ne sont que consultatifs.

Mais si on regarde le volume et la valeur des échanges, d'une part, les rapprochements en termes de partenariats, soit civils, soit militaires, d'autre part. Et enfin, cerise sur le gâteau, les États arabes, signataires des accords d'Abraham, qui n'ont pas bougé, mais également l'Égypte et la Jordanie, signataires depuis 1978 et 1994 de la paix avec Israël, qui n'ont pas bougé, avec la crème qui se trouve dans la cerise, sur le gâteau. Le Maroc, qui en pleine offensive israélienne au sud de la bande de Gaza l'été dernier, acquiert auprès d'Israël un matériel militaire de type renseignement satellitaire pour plus de 1 milliard de dollars.

Alors, est-ce qu'avec tout ça, on peut réellement... Pardon. Est-ce qu'avec tout ça, on peut réellement parler d'un isolement d'Israël sur la scène internationale ? Je vais vous dire franchement, Bernard, ce n'est pas sérieux de le croire.

 

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